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Amélie Danchin se souvient
Une abeille au Royaume de Chomo

​J'ai de nombreux souvenirs chez Chomo. Même plus que cela. Comme des traces insolites, creusées et nichées à jamais au cœur de mon cerveau. On se construit en tant qu'adulte avec les bases de la petite enfance et si celles-ci sont la plupart du temps joyeuses et douloureuses, elles peuvent être aussi totalement atypiques et décalées.

 

Avant ma naissance, ma mère a eu du mal à tomber enceinte, et après plusieurs années à essayer, elle a, un jour, eu une sorte de « déblocage magnétique » au cours d'une visite chez Chomo. Il lui avait déclaré qu'elle serait enceinte en octobre. Ce fut le cas.

 

A ma naissance, en juillet 1977, Chomo se revendiqua comme mon père spirituel et me baptisa Étoile du Soir. Une jolie lettre en phonétique, écrite à ma mère à ma naissance, et accompagnée d'un poème (« Maternité ») en sont des témoins précieux.

 

Mon père était un grand ami pour Chomo. Pendant des années, il a fréquenté ce créateur unique – sculpteur, poète et musicien – un être en fusion avec la nature. Car lorsque l'on va chez Chomo, ce qui frappe entre autres le visiteur, c'est cette faune et cette flore parfaitement en harmonie avec l'homme et son univers de création. Comme si l'une et l'autre s'étaient épousés.

 

Chomo était un personnage haut en couleurs qui, non seulement n'a jamais eu sa langue dans la poche mais qui, en plus, savait manier les mots avec brio et humour, pour développer une vision de la vie totalement unique et belle, dans son respect envers l'environnement et la nature profonde de l'individu à l'état brut, et non pas envers l'homme civilisé perverti. C'est sûr qu'il n'aimait pas les cons, et sa liberté verbale lui a sûrement fait gagner du temps dans son existence !

 

Mais pouvoir assumer une telle liberté dans sa façon de vivre, peu de gens en sont capables.

 

Voilà comment  je vois cet homme.

 

Pour moi, il reste la figure de ma jeunesse la plus marquante.

 

Très souvent, à différents moments de ma vie, j'ai repensé à ce Royaume de Chomo, à ce lieu magique pluriartistique, à ces sensations et à cette énergie créatrice venant à la fois de l'homme et de cette fameuse nature avec laquelle il était en symbiose. Je n'ai jamais ressenti tout cela ailleurs pour l'instant dans ma vie. Et c'est bien pour cela que Chomo est et a toujours été pour moi un repère et que j'y pense souvent.

 

Quand nous avons cessé de lui rendre visite, je me souviens d'un grand vide, d'une coupure brutale et surtout d'une certaine tristesse. J'étais trop jeune à l'époque pour réaliser à quel point cet homme était en fait important dans ma vie. Et puis ce qui était formidable chez Chomo, c'étaient évidemment tous ces visiteurs, tous ces gens différents, unis et envoûtés quelques heures, grâce au magnétisme de cet homme. Car la magie réside aussi dans le fait que, chez lui, on rencontrait aussi des gens, et pouvait connaître de vrais moments de vérité et de fraternité.

 

Pour les enfants, Chomo a toujours eu une tendre affection, une complicité et une attention particulières. Comme une abeille, j'ai aussi butiné dans tous les recoins, observant les petits détails. Je me souviens, au moment de partir, quand nous allions chercher des œufs au poulailler. Et lorsque, devant le perron de sa maison, j'avais le droit de jeter du maïs.

Je me souviens de l'odeur du Porto ou du gâteau breton fourré aux pruneaux, mais aussi de la « patate », cette pâtisserie à la pâte d'amande qu'il adorait. Des visites dans les décharges publiques, aussi, pour ramasser des bouteilles en verre fondu. Et des courses à Milly, où on lui achetait des pigments.

 

Et puis j'ai des souvenirs aussi de tout ce qui me faisait un peu peur, mais une peur douce, sans ondes malsaines : cette salle à manger condamnée avec les volets toujours clos, où s’entassaient sculptures, peintures et masques. Ou ce tunnel extérieur sablé, aux parois plâtrées avec des moules de son visage. Et les tubes de verre de couleur, en rideau, qui cliquetaient avec le vent. Et ce masque mortuaire, moulé sur un visage de bébé.

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